55 % des employés interrogés refuseraient la surveillance au travail s'ils avaient le choix
Publié le 04/04/2023 Rédigé par Sabrina Khoulalène.
Quel impact la surveillance au travail a-t-elle sur la productivité des salariés ? La réponse à cette question requiert une réflexion profonde sur les conditions d’utilisation des outils de surveillance, leurs modalités de mise en œuvre et la perception des professionnels sur cette approche.
Dans cet article
- Quelles sont les conditions de mise en place des outils de surveillance des salariés ?
- 62 % des répondants surveillés affirment avoir été informés des modalités de surveillance
- Quels sont les champs d’application de la surveillance au travail ?
- Que pensent les professionnels de la surveillance au travail ?
- Surveillance au travail : que retenir ?
La surveillance au travail peut se définir comme l’ensemble des mesures et des dispositifs mis en place par l’employeur en vue de contrôler l’activité des salariés sur le lieu de travail. Originellement fondé sur des méthodes classiques telles que le contrôle physique ou le marquage manuel sur des fiches de présence, ce suivi s’effectue aujourd’hui à l’aide de logiciels de surveillance des employés. La dématérialisation des outils de travail, la digitalisation des processus et la généralisation du télétravail du fait de la crise pandémique de la Covid-19 ont poussé bon nombre d'entreprises à adopter des solutions de surveillance numérique. Ceci parce que le travail en distanciel échappe au contrôle physique des supérieurs hiérarchiques. Ainsi, la perte de lien avec l’entreprise, les risques de distraction, le manque d'autodiscipline, ou encore l’impossibilité de dissocier vie professionnelle et familiale sont autant de conséquences qui peuvent compromettre la qualité du travail et occasionner une baisse de productivité chez un salarié. La surveillance numérique se présenterait alors comme un moyen légitime pour éviter ces désagréments et pouvoir mesurer la productivité de l'employé qui travaille à domicile.
Même après la crise sanitaire, de nombreuses PME envisagent de maintenir ou d’installer des outils de surveillance numérique des salariés. Cette tendance suscite souvent des interrogations multiples liées à la légalité et à la pertinence de ces outils, ainsi qu’à leurs conséquences effectives sur la motivation et la productivité des travailleurs.
L’étude de Software Advice apporte des pistes de réponses à ces interrogations. Elle souligne la perception des employés sur l’utilisation des outils de surveillance au travail. L’enquête porte sur un échantillon de 896 professionnels, dont 557 employés et 339 managers. Une méthodologie complète est disponible à la fin de cet article.
Quelles sont les conditions de mise en place des outils de surveillance des salariés ?
Même s’il est établi que “toute personne a droit au respect de sa vie privée” selon l’article 9 du Code civil, le droit du travail n’exclut pas le recours à des mesures restrictives dans le milieu de travail lorsque celles-ci s’inscrivent dans une démarche justifiée et proportionnée à l'objectif (article L1121-1 du Code du travail). De même, la jurisprudence française reconnaît à l’employeur le “droit de contrôler et surveiller l’activité des salariés pendant le temps de travail à condition de respecter leurs droits fondamentaux et libertés individuelles”. Ainsi, plusieurs entreprises ont recours à la surveillance numérique de leurs employés. Mais, beaucoup d’autres n’ont pas encore franchi le pas pour diverses raisons.
Selon les résultats de notre enquête, 43 % des répondants déclarent que leur employeur n’utilise pas d’outils de surveillance des salariés. 12 % des sondés n’ont, quant à eux, aucune connaissance de l’existence d’une éventuelle mesure de surveillance dans leur travail. Sur les 46 % des sondés qui attestent l’existence d’outils de surveillance au sein de leur entreprise, 20 % affirment que ces outils ont été mis en place avant les restrictions liées à la crise sanitaire, 18 % dans les six mois qui ont suivi les restrictions sanitaires et 8 % plus de six mois après.
Deux catégories se distinguent dans le groupe des répondants qui confirment l’utilisation par leur entreprise d’outils de surveillance au travail. La première catégorie est constituée des salariés qui utilisent les outils de surveillance au travail et qui ne sont pas surveillés. Seuls 28 % de ce groupe de répondants font partie de cette catégorie. La seconde catégorie est celle des salariés qui utilisent les outils de surveillance et qui sont eux-mêmes surveillés. Cette catégorie est la plus importante. Elle représente 49 % du groupe des répondants utilisant les outils de surveillance. Il convient de mentionner que parmi les répondants qui déclarent être surveillés, 23 % ne surveillent personne d’autre.
62 % des répondants surveillés affirment avoir été informés des modalités de surveillance
L’une des principales problématiques de la surveillance au travail est la transparence. Plusieurs outils de surveillance des salariés impliquent la collecte de données personnelles, laquelle est soumise à l’approbation du concerné. En effet, l’article L1222-4 du Code du travail énonce qu’“aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance”. De même, le règlement général sur la protection des données (RGPD) impose à l’employeur l’obligation d’informer toute personne dont les données à caractère personnel sont collectées. Les informations à fournir comprennent entre autres les finalités du traitement et les intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement.
Notre enquête semble dégager une tendance selon laquelle une grande partie des entreprises se conforment à la réglementation. En effet, 62 % des répondants surveillés attestent que leurs responsables ou leur service RH leur a expliqué quels étaient leurs droits.
Des efforts restent, cependant, à faire au sein de certaines entreprises qui utilisent les outils de surveillance au travail, mais qui n’observent pas les règles de transparence. En effet, 31 % des répondants surveillés déclarent n’avoir reçu aucune information sur les modalités de surveillance.
Quels sont les champs d’application de la surveillance au travail ?
Au fil des années et des nombreux bouleversements, la surveillance au travail a évolué de la simple vérification des présences au contrôle des activités des salariés. Les logiciels de surveillance des employés permettent ainsi de surveiller différents aspects parmi lesquels on peut retenir :
- l’activité informatique : accès à Internet, suivi du temps passé sur Internet, navigation,
- l’activité et l’inactivité : mouvements de souris, enregistrement des touches de clavier tapées, heures de connexion et de déconnexion,
- la présence : heures de connexion et de déconnexion, périodes d'activité et d'inactivité, présence, congés maladie,
- l’espace de travail : surveillance par webcam, photos ou captures d'écran prises à intervalles réguliers,
- les conversations audio : utilisation du téléphone,
- la communication numérique : e-mails, messagerie instantanée, visioconférence,
- les réseaux sociaux : utilisation de comptes personnels,
- la localisation : position GPS et suivi des véhicules,
- la gestion du temps : temps passé sur chaque tâche ou projet, calendrier professionnel,
- la gestion de la charge de travail : listes de tâches, emploi du temps, objectifs et indicateurs clés de performance,
- la santé et le bien-être : technologies portables pour suivre le bien-être physique.
La plupart des logiciels de surveillance au travail prennent en charge plusieurs de ces aspects. Les responsables d’entreprise peuvent ainsi choisir les fonctionnalités adaptées à leurs besoins spécifiques, mais aussi à la convenance des employés. Les cinq points de surveillance qui ont le plus reçu l’approbation des personnes interrogées sont :
- la présence, notamment les heures de connexion et de déconnexion, ainsi que les périodes d’activité et d’inactivité (28 %),
- la gestion de la charge de travail (28 %),
- la gestion du temps passé sur chaque tâche ou projet (23 %),
- la communication numérique (19 %),
- l’espace de travail par le biais d’une surveillance par webcam, photos ou captures d’écran (18 %).
Que pensent les professionnels de la surveillance au travail ?
69 % des répondants se sentent à l’aise avec la surveillance de la gestion de la charge de travail
L’un des objectifs de notre étude est de mesurer le degré de satisfaction des professionnels sur les aspects de la surveillance au travail. Ce volet s'intéresse de manière spécifique à la perception de tous les profils d’employés ciblés par l’enquête, qu’ils soient surveillés ou non, à l’exception de ceux qui surveillent sans être surveillés. L’enquête révèle que la majorité de ces répondants, soit 69 %, se sentent particulièrement à l’aise avec la surveillance relative à la gestion de la charge de travail, à savoir le suivi des listes de tâches, de l’emploi du temps et des indicateurs de performance.
En deuxième position, c’est le suivi de la présence à travers la surveillance des heures de connexion et de déconnexion qui rencontre l’adhésion du plus grand nombre de répondants. Ils sont en effet 66 % à se dire “à l’aise” ou “très à l’aise” avec cette méthode. Viennent ensuite la surveillance de la communication numérique (63 %), la gestion du temps passé sur les tâches (62 %), la surveillance de l’activité informatique (59 %), la surveillance de l’activité ou de l’inactivité (57 %), puis la surveillance des conversations téléphoniques (56 %).
On retrouve aussi les aspects de la surveillance les moins appréciés par les professionnels interrogés. Le plus palpable reste la surveillance de l’espace de travail par webcam qui n’est jugée acceptable que par 42 % des répondants. Cette méthode de surveillance est certainement considérée comme la plus intrusive. Les autres aspects de la surveillance au travail, à savoir la surveillance de l’utilisation des réseaux sociaux personnels et la localisation GPS, récoltent quant à eux des réponses plus mitigées. 52 % se sentent “à l’aise” voire “très à l’aise” avec ces derniers aspects.
L'intérêt de la surveillance au travail selon les professionnels
Malgré la controverse suscitée par la question, certaines études démontrent les effets positifs de la surveillance au travail. C’est également ce que semble révéler notre enquête. Les six avantages les plus cités par les répondants dans le cadre de cette enquête sont les suivants.
- La surveillance permet aux managers et aux employeurs de prendre plus facilement en compte les heures travaillées ou les heures supplémentaires (36 % des choix exprimés).
- L’entreprise dispose de preuves de travail des employés et sait qui travaille et quand (28 %).
- Les employeurs et managers ont une meilleure visibilité sur la productivité et les performances des employés (28 %).
- Les employeurs et managers ont une meilleure visibilité sur les activités quotidiennes (27 %).
- Les managers peuvent déléguer des tâches aisément selon la charge de travail de chacun (26 % des choix exprimés).
- Les erreurs peuvent être détectées avant qu’elles ne s'aggravent (26 %).
On peut noter que ces avantages profitent, pour la plupart, directement aux employés, à travers la reconnaissance de leur travail, ce qui peut contribuer à la valorisation des responsabilités et des conditions de travail. Ainsi, la majorité des répondants reconnaissent des effets positifs à la surveillance au travail. Seuls 13 % des interrogés répondent que le suivi et la surveillance des employés ne présentent aucun avantage.
Cependant, les répondants affirment ne voir aucune influence positive de la surveillance sur l’épanouissement professionnel. Seuls 18 % des sondés assurent que le bien-être des employés est davantage visible grâce à la surveillance. Est-ce à dire que la surveillance peut s'avérer incompatible avec le bien-être ?
Pour 37 % des répondants, la surveillance augmente le niveau de stress au travail
Si les avantages de la surveillance au travail sont reconnus à plusieurs niveaux, certains professionnels ne manquent pas d’exprimer leurs inquiétudes liées principalement au bien-être des travailleurs surveillés. Plusieurs employés interrogés dans le cadre de notre enquête attestent que la surveillance est incompatible avec le bien-être. 48 % des salariés sondés affirment sans équivoque que savoir qu’ils sont surveillés nuit ou nuirait à leur moral. Par ailleurs, quand on les interroge sur les inconvénients liés à la surveillance, 37 % des répondants pensent que cette pratique génère une augmentation de stress et 31 % craignent un impact négatif sur leur moral.
D’autres inquiétudes sont également exprimées par les répondants, notamment le non-respect de la vie privée (40 %), le non-respect de l’éthique (26 %), le manque de transparence sur les aspects surveillés (24 %) ou encore le non-respect des politiques de confidentialité des données (20 %). Il est clair que ce sentiment de méfiance pourrait nuire à la bonne ambiance de travail au sein de l’entreprise, et par conséquent au rendement des travailleurs. Il revient donc aux employeurs de prendre toutes les mesures de transparence et de respect de la vie privée afin de rassurer les employés.
Les mesures de transparence en matière de collecte de données consistent notamment à fournir aux employés des informations précises et claires sur les modalités de la surveillance, à savoir :
- le type de données collectées,
- les moments durant lesquels les données sont collectées,
- la manière dont ces données sont collectées,
- la finalité de la collecte de données,
- les mesures de protection des données collectées,
- la durée de conservation des données collectées
- la personne responsable du traitement des données collectées.
Si les employés sont convaincus par la démarche, ils pourraient être moins réfractaires et de ce fait plus à l’aise avec l’utilisation des outils de surveillance. Toujours est-il que la majorité des salariés semblent préférer un environnement de travail sans surveillance. Si on leur donnait le choix, 55 % des employés questionnés souhaiteraient ne plus être surveillés, tandis que 30 % n’y trouveraient pas d’inconvénients. Tout en reconnaissant les aspects positifs des mesures de surveillance, les travailleurs seraient donc plus préoccupés par l’incommodité de cette pratique qui affecterait entre autres leur motivation.
Quel impact sur la motivation et la productivité des salariés ?
L’objectif principal visé par les employeurs à travers la mise en place de la surveillance au travail est l’amélioration de la productivité des salariés. Tenant compte du fait que cette démarche obligerait les travailleurs à occuper efficacement leurs heures d’activité, chacun pourrait être tenté de croire aux effets bénéfiques de la surveillance. Mais tel n’est pas le cas pour une majorité des répondants concernés par la question de la perception sur la surveillance (tous les profils de salariés, surveillés ou non, sauf ceux qui surveillent sans être surveillés).
59 % d’entre eux estiment en effet que la surveillance n’a aucun impact sur leur motivation au travail. Pis, 22 % des répondants disent que savoir qu’ils sont surveillés les encourage à travailler moins. De plus, 35 % se disent démotivés au travail de ce fait.
La gamification : une source de motivation selon 35 % des sondés
D’autres approches analogues, notamment l’autosurveillance et la gamification, peuvent s’avérer moins contraignantes pour les salariés.
L’autosurveillance se réfère à des outils permettant aux employés d’évaluer eux-mêmes leur travail. Grâce à des indicateurs centralisés en une vue unique, les employés peuvent évaluer leurs performances et améliorer leur productivité.
La gamification, quant à elle, emploie une approche ludique pour dynamiser les équipes et renforcer leur engagement. Les salariés jouent un jeu et obtiennent des points et des récompenses à mesure qu’ils améliorent leurs compétences.
Mais, pour certains professionnels, ces outils n’auraient pas d’impact non plus sur leur motivation. C’est ce qu’affirment 48 % des personnes interrogées au sujet de la gamification et 50 % sur l’autosurveillance. Pour 34 % des répondants, l’autosurveillance serait même une cause de démotivation. La gamification suscite, en revanche, un peu plus d’enthousiasme, notamment pour 35 % des répondants qui voient en celle-ci une source de motivation relative.
Surveillance au travail : que retenir ?
Dans un contexte global de digitalisation et de télétravail, de plus en plus d’entreprises ont recours aux logiciels de surveillance des salariés dans l’objectif de garantir et d'améliorer leur productivité. Cette pratique est cependant soumise à des exigences légales, particulièrement en matière de transparence de la part des surveillants et de consentement de la part des surveillés. Notre enquête révèle que ces exigences ne sont pas observées par toutes les entreprises. Les PME gagneraient toutefois à se conformer à la loi en matière de surveillance, non seulement pour éviter les recours, mais aussi parce que la transparence favorise la confiance des employés à l’égard des outils de surveillance.
Si le ressenti des employés concernant la surveillance au travail est un indicateur important pour évaluer la mise en place d’outils dédiés, la perception des employeurs et des managers qui ne sont pas surveillés pourrait fournir des indicateurs tout aussi pertinents. C’est ce que nous aborderons dans le second volet de l’enquête.
Méthodologie
Pour collecter les données de ce rapport, nous avons mené une enquête en ligne entre janvier et février 2023 regroupant la participation de 896 professionnels dont 557 employés (en formation, juniors ou intermédiaires) et 339 managers (middle ou senior). Les critères de sélection des participants étaient les suivants :
- Réside en France
- Âgé(e) de plus de 18 ans
- Employé(e) dans une entreprise de 2 à 250 personnes
- Travaille à temps plein ou à temps partiel
Le nombre de répondants varie d’une question à l’autre selon leurs réponses apportées aux questions précédentes.
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